Chez Alphonse, on trouve ça dommage qu’il y ait les jeunes d’un côté et les moins jeunes de l’autre. Mais on sait aussi qu’il est parfois difficile de discuter avec ses (petits-)enfants ou (petits-)neveux sans avoir le sentiment d’être perdu. Alors pour ne laisser personne sur le banc de touche, on part chaque mois en vadrouille aux côtés d’un lecteur ou d’une lectrice. L’idée ? Revenir avec une histoire qui vous permettra d’être prêt(e) pour le prochain repas de famille.
En cette trêve hivernale, on a voulu comprendre pourquoi les artistes les plus créatifs de leur génération s’installent dans des squats. On est donc allé avec Jean Yves — retraité depuis quelques années et l’un de nos lecteurs de la première heure — découvrir le POST, un repère éphémère d’artistes ouvert dans un immeuble abandonné. Ensemble, on y a rencontré Ralph.
Immeuble abandonné recherche locataires créatifs
29 rue Blanche, IXe arrondissement de Paris. Devant nous, un bâtiment à la silhouette de béton, laissé à l’abandon depuis 8 ans, flanqué d’une pharmacie et d’un arrêt de bus. 2000 m², 9 étages, 70 artistes dont 25 résidents.
La porte vitrée se lève. “Elle a été automatique dans sa jeunesse mais ne s’en souvient plus… Là, elle marche avec une ficelle. C’est magique.” poursuit Jean Yves. Et Ralph, comme descendu tout droit de la lune, nous fait visiter ce qu’il reste du squat d’artistes. Musicien issu d’une famille de classe moyenne, Ralph, 27 ans, refuse de s’endetter avec un prêt étudiant : “30 000 euros pour faire des études qui ne me plaisent pas ? Non merci !” Pour lui, Jean Yves ressent “tendresse et empathie”.
C’est comme une grande colocation
Habitat collectif de création, le squat n’a pourtant rien d’un grand foutoir. Il est même très bien ordonné. Imaginez une grande colocation où chacun s’organise et se partage les tâches. Dans les pièces collectives, tout est structuré : bacs à nourriture sur lesquels on inscrit son prénom, étages du frigo attribués… Tout a été construit de bric et d’broc avec brio. Le do it yourself (ndlr le fait-maison), c’est leur dada. Et si être squatteur c’est avoir le coeur sur la main ? “Vous avez appris tout seuls la générosité.” remarque Jean Yves avec bienveillance.
« Le squat c’est un mode de vie, on préfère vivre à 25 que vivre seul, c’est plus enrichissant. »
Le risque d’expulsion stimule la création
La création dans l’urgence, voilà ce qui fait la magie de ces squats d’artistes : “le risque d’expulsion apporte l’énergie et la créativité nécessaire pour faire vivre un lieu”. Ces espaces vides grouillent d’énergie. Et finalement, c’est là que la création prend vie. Le squat est “la rencontre entre un endroit plein de vide et des gens plein de rêves” remarque poétiquement Jean Yves.
Au POST, plus de 40 artistes ont installé leurs pinceaux, leurs instruments de musique, et leur appareil photo. On y croise par exemple Tito/Mulk, duo de graffeurs réputés, qui ont pour habitude de donner corps à leurs oeuvres dans l’un des ateliers. Ils ont d’ailleurs été invités cette année à la Foire Internationale d’Art Urbain.
De la création à l’exposition, il n’y a qu’un coup de pinceau
Les artistes ne se contentent pas de créer. Il profitent des squats pour exposer leurs créations. Le POST a fermé ses portes le 31 octobre 2019 mais a accueilli au fil de ses six derniers mois plus de 4 000 visiteurs. Rien d’étonnant. Comme l’explique la professeure en sciences économiques Nathalie Moureau, le squat permet ainsi “de pallier aux lieux d’expositions”.
Parmi ces visiteurs, de nouveaux publics, toutes générations confondues, ont pu se découvrir une sensibilité artistique. Un peu comme dans une galerie, sans le filtre du galeriste. De l’art en circuit court en somme.
La prochaine fois que vous passerez devant un immeuble abandonné dédié à la création, est-ce que vous oserez, comme Jean Yves, franchir la porte ? Comme lui, vous pourriez y croiser des gens extraordinaires. Eux de leur côté sont prêts à vous recevoir.
« Nous on veut bien prendre des retraités en squat »
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Un peu de documentaire : Chroniques d’un Squat. Plongez directement dans la vie et l’univers d’un squat parisien désormais fermé.
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Un peu de lecture : Les mondes du squat de Florence Bouillon. Dans son ouvrage, l’auteur livre une étude anthropologique de cet habitat précaire mais aussi lieu d’art.
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Un peu de balade : le 59 rue de Rivoli et le Landy Sauvage à Paris, ou encore l’ancien collège Maurice Scève à Lyon. Ces trois squats exposent régulièrement de nouveaux artistes et sont faciles d’accès.
Alphonse explore de nouveaux formats pour vous faire découvrir des sujets insolites et vous en mettre plein les mirettes. On espère que ce décryptage vous a plu et votre avis nous serait précieux pour savoir si l’on a pris le bon chemin. Vous pouvez en discuter juste ici :