Dans l’appartement de Jean Yves, au 3ème étage d’un immeuble au cœur de Paris, dans le Marais, le soleil illumine le salon et fait valser au gré de l’après-midi les bouquins soigneusement rangés dans la bibliothèque. Tandis qu’il sert le café, Andrew Grey et Stéphane Sauvé s’installent autour de la table. L’un assistant réalisateur, l’autre fondateur de Rainbold Society, et tous deux amis. Andrew aide les jeunes LGBT+ à s’affirmer, à s’accepter et à avancer dans la vie à travers son blog et sa chaîne YouTube dans lesquels il décrypte les clichés sur l’homosexualité. Quant à Stéphane, ancien directeur d’EHPAD, il est à l’origine de l’association Les Audacieuses et les Audacieux.
À travers cette association, Stéphane souhaite fonder une Maison de la Diversité : un lieu de vie inclusif destiné principalement aux seniors LGBT+* mais “pas seulement”. En effet, 65% des seniors LGBT+ vivent une situation d’isolement (contre 15% des seniors hétérosexuels). Sans compter que 90% de ces personnes n’ont pas d’enfant, donc pas d’aidant·e naturel·le pour les épauler lorsqu’ils perdent leur autonomie. Jean Yves, qui connaissait l’initiative de Stéphane, est tout de suite entré dans le vif du sujet : “Je trouve l’initiative que vous avez prise intelligente, généreuse et remarquable”. Pourtant, certain·es voient dans ce projet un aspect communautariste. Et c’est là que cela se corse. Depuis 3 ans, Stéphane peine à trouver des financements. Pourtant, LBGT+ ou non, chacun·e est libre de choisir d’intégrer ou non ces maisons. Pour lui, ce projet est une façon de montrer qu’il y a mille et une façons de vieillir.
Repenser le masculin/féminin
Pourquoi parle-t-on de plus en plus de « genre » ? Pour commencer, il faut tout d’abord comprendre qu’on ne parle pas des caractéristiques biologiques visibles à la naissance : cela, c’est le sexe. Le genre, quant à lui, désigne le rôle social, les attentes et les stéréotypes que l’on appose aux personnes selon leur sexe. Pour caricaturer, la femme est aux fourneaux pendant que l’homme chasse le sanglier. Pour Stéphane (et pour nous aussi), “ces clichés sont stupides mais on les a depuis tout petits. On se demande si on n’a pas mangé du prêt-à-penser ?”
C’est d’ailleurs depuis les années 1960 et grâce aux premiers mouvements, notamment du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), que le genre est reconnu comme oppression et que les jeunes peuvent désormais affirmer “un peu plus facilement” qui ils sont et ce qu’ils sont. Andrew ajoute avec gratitude : “Ces personnes, on leur doit reconnaissance, sans eux il n’y aurait pas les droits et libertés acquis aujourd’hui. Ce que je fais, c’est ma manière à moi de remercier celles et ceux qui se sont battus pour que j’ai mes droits.”
Étudier le genre permet de visibiliser les discriminations. “Le genre n’est pas un domaine spécialisé, c’est une grille de lecture de la société. Que l’on s’intéresse à l’école, à l’emploi, à l’immigration, à la famille, à la santé, aux retraites ou à tout autre problème social, le genre est un des axes essentiels de la connaissance, un outil indispensable à l’intelligence du monde social” précise Réjane Sénac-Slawinski dans Informations Sociales.
Sans surprise, on se rend compte que les femmes, les homosexuel·les, les transgenres sont beaucoup plus sujets à la précarité, par exemple face aux violences (physiques, verbales ou domestiques). Comment mieux les inclure dans une société régie par le masculin et l’hétérosexualité ?
Déconstruire la norme hétérosexuelle
Et qu’est-ce que la norme dans notre société sinon celle de l’hétérosexualité ? Au début des années 70, l’hétérosexualité était une évidence et le reste, on n’en parlait pas : “À mon époque, il y avait omerta sur la question de la sexualité en faisant semblant de l’ignorer” nous raconte Jean Yves. Les garçons de bonne famille étaient envoyés dans des maisons dans le sud chez la grand-tante, un point c’est tout.
“Aux côtés de l’association Les Audacieux et les Audacieuses, je lutte pour que l’on arrête d’avoir d’une pensée qui soit hétéronormative sur un modèle du patriarcat” explique Stéphane. La pensée hétéronormative, c’est cela : cette “évidence” qui fait que l’on présume que l’hétérosexualité est la norme. “Cette manière de voir le monde privilégie les personnes hétérosexuelles au détriment des personnes homosexuelles, alors vues comme différentes voire déviantes.” Quant au patriarcat, il désigne le système social d’oppression des femmes par les hommes (on a d’ailleurs écrit un article sur le féminisme juste là).
Mais alors comment déconstruire cette norme ? “Il y a le sexe femelle ou le sexe mâle, c’est biologique. Après il y a l’identité de genre, le fait de se sentir femme ou homme. Il y a aussi l’expression du genre, c’est le fait d’exprimer une féminité ou une masculinité. Ensuite, il y a les rôles sociaux que l’on attribue aux genres. Et enfin, il y a l’orientation sexuelle. Tu secoues tout le bazar et cela fait la norme à déstructurer. ”
Et pour déconstruire ces modèles qui nous paraissent évidents, c’est un long chemin. Pour Stéphane, il lui a fallu 30 ans pour s’en défaire. Du côté d’Andrew, plus jeune, déconstruire certains paradigmes est plus évident, mais pas encore une mince affaire. Car cela passe par une remise en question au sein de la société même. Récemment par exemple, la marque Monsieur Patate est devenue la marque “Tête de Patate” pour plus d’inclusivité. Devenu culte depuis les dessins-animés Toy Story, ce jouet se compose d’éléments comme des yeux, des mains ainsi que des accessoires à piquer sur les pommes de terre faisant office de tête. À travers cette nouvelle identité, la marque souhaite “s’assurer que tout le monde se sente le bienvenu dans le monde des têtes de patates”.
Une histoire de cases
Et si pour mieux inclure, il fallait mieux nommer ? Dans la question du genre et de l’identité, il y a la question du vocabulaire. Les mots sont là pour visibiliser des causes afin de créer un espace public plus inclusif. Il n’y a plus le genre masculin d’un côté, et le genre féminin de l’autre. Entre eux deux se glissent un tas d’appellations qui ouvrent le champ des possibles. Andrew commente : “Pour les hétéros, il y a les gays, les lesbiennes, les bi, les trans et point. Depuis quelques années (moins de dix ans), on commence à créer plein de cases : les non binaires, les a-genres…”
“Aujourd’hui, on a tout l’alphabet dans la communauté LGBTQIA. Il y a le L pour lesbienne, le G pour Gay, le B pour Bi mais aussi le Q pour Queer ou encore le I pour Intersexe. Ce sont des gens qui veulent se définir.” explique Stéphane. Nommer permet de rendre visibles ces identités. Cela permet aussi aux personnes qui se définissent de se comprendre et d’échanger sur leurs parcours : “Toutes ces lettres, tous ces mots, représentent la diversité des sexualités, des préférences et des genres.”
Et parmi tout cela, un mot fédère : queer. Kezako ? “C’est la première définition que l’on apprend quand on arrive en Angleterre, cela veut dire “étrange”. En somme, tout ce qui n’est pas hétérosexuel est “étrange”.” précise Jean Yves. L’occasion pour Andrew de plaisanter avec Jean Yves : “Vous êtes allé voir les hommes queer après ?” Mystère et boule de gomme, cette anecdote, Jean Yves ne nous l’a pas soufflé à l’oreille. Et si le mot queer rassemble, il n’enlève pas toute la complexité de la question.
Vers une convergence des luttes
La limite de questionner le genre, de se définir et redéfinir, pourrait être de mettre les personnes dans des cases, voire de les y enfermer. Le risque est aussi de complexifier la discussion pour les non-initiées : “Beaucoup d’hétéros posent des questions en étant maladroits alors qu’ils essayent de s’intéresser à la question. Mais comme nous autres LGBT+ sommes majoritairement susceptibles, on va les envoyer paître.” explique Andrew. Et pourtant, leurs réactions n’en sont pas moins légitimes. Comme le souligne Jean Yves : “Quand on appartient à une minorité, quelle qu’elle soit, on a le poil plus fragile et donc est un peu plus injuste par rapport à ce que l’on entend.”
Pour Andrew, les différentes identités à l’intérieur de la communauté n’unissent pas assez leurs forces : “Un jour, j’ai fait l’expérience d’aller dans un bar lesbien. On n’a pas pu rentrer. À quel moment on se soutient dans l’idée ?” Car le sujet de l’inclusion est un sujet d’acceptation de la différence. Et il semblerait que les générations futures reprennent avec ferveur le flambeau, “tant qu’il y a de l’amour et de la solidarité”.
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Un peu de lecture : La maternité symbolique, de Marie-Jo Bonnet. L’auteure et militante interroge la maternité symbolique et ce pour quoi les femmes “ne seraient bonnes qu’à” féconder, à dévorer juste ici.
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Un peu d’écoute : “Pourquoi les hommes ne pleurent pas”, un podcast de Louie Media. Le journaliste Antoine Lalanne-Desmet interroge des expert·es et des hommes sur leur rapport aux larmes et pourquoi les hommes ne peuvent pas pleurer. À écouter juste là.
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Un peu d’associatif : Rainbold Society, le projet de Stéphane Sauvé. Son objectif ? Agir pour le bien vieillir des seniors, notamment des seniors LGBT+, en créant des espaces d’habitat inclusif. À découvrir juste ici. Et si vous souhaitez leur écrire un petit mot, c’est par là : [email protected].
* LGBT+ = Sigle utilisé pour désigner l’ensemble des personnes non strictement hétérosexuelles et cisgenre, en regroupant les lesbiennes (d’où le L), les gays (G), les bisexuel·les (B) et les transexuel·les (T). On vous explique tout juste en dessous.
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Lesbienne : Une femme dont l’orientation sexuelle et sentimentale est tournée vers des femmes.
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Gay : Un homme dont l’orientation sexuelle et sentimentale est tournée vers des hommes.
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Bisexuel·le : Une personne qui peut éprouver de l’attirance pour un individu du même sexe ou pour un individu de sexe opposé, sans préférence.
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Transexuel·le : Une personne d’un genre différent de celui qu’on lui a assigné à la naissance.
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Cisgenre : Une personne dont l’identité de genre est en accord avec son sexe.
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A-genre : Une personne qui ne ressent pas de genre.
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Queer : Une personne dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants.
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Intersexe : Une personne née avec des caractères sexuels qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins.